Thème : Imaginez un lieu où s’organise l’atelier d’écriture pendant une semaine.
Nous sommes un petit groupe, qui a l’habitude de se retrouver pour un atelier d’écriture, chaque Mardi, avec grand plaisir. Pour la première fois, un Monsieur chargé de la culture nous rend visite, et nous offre la possibilité de participer à un atelier thématique d’une durée de sept jours, cette proposition nous enchante, on dit : « oui pour l’aventure ! » On se retrouve comme convenu lundi matin pour le départ. Le Monsieur est au rendez-vous et nous explique que le thème sera la guerre. On réfléchit, on se concerte, et on se décide, une semaine de résidence pour écrire sur la guerre, c’est une expérience originale. Mais sur le chemin, ce Monsieur nous apprend notre destination finale, nous nous dirigeons vers le champ de bataille, c’est là que nous trouverons l’inspiration affirme-t-il. Notre enthousiasme s‘est grippé. Nous arrivons au camp, à quelques kilomètres du front, cela nous rassure, ici, aucun risque de bombe ou de balle perdue. Notre chargé de la culture nous souhaite bon courage et s‘en va, les militaires sont méfiants à notre égard, on entend au loin les bombardements, Il arrive des brancards avec des blessés dedans qui gémissent, l’atmosphère est oppressante, nos émotions sont déjà fortes, on a de la matière pour écrire.
Un sergent vient à notre rencontre et nous dit : «c’est vous les écrivains ? Vous êtes maintenant au service de l’armée, le front, c’est par là! Prenez la table et les chaises, Vous partez de suite!» Florence nous rassure, «Ne vous inquiétez pas ils ne vont pas nous mettre en première ligne, ça va bien se passer.» «Exécution!» Ajoute le sergent. Marie Madeleine est un peu pâle, Samuel me pousse pour accélérer le pas, mais je ne suis pas pressé d’arriver. On traverse un bois, Florence toujours positive nous dit : «regardez si il est joli ce bois, moi ça m’inspire.»
La pluie commence à tomber, on continue de marcher une bonne heure avant d’arriver. Il y a des tranchées partout, la ligne de front est devant nous. Au loin un soldat crie dans notre direction en faisant des signes, puis court vers nous. «Mais couchez-vous bande d’inconscients ! Vous allez vous prendre une balle !» nous voilà obligés de ramper dans la boue jusqu’à la tranchée, on est exaspéré, ça commence bien ! Non loin de nous explose une bombe, pas de blessé, on a eu chaud, le groupe paniqué accélère le rythme, arrivés au bord de la tranchée pas le temps de chercher une échelle, tout le monde se laisse tomber sur le sol, on est couvert de boue mais vivant. Le chef de section nous reçoit : « bienvenue dans la merde bande de troufions, vous êtes ici pour deux choses, premièrement : rendez glorieuse cette foutue guerre pour le journal officiel, deuxièmement: faites rêver nos putain de soldats.» C’en est trop pour nous ! On vient d’échapper à la mort et on nous traite comme la bleusaille ! On manifeste notre envie de partir, on explique qu’on n’est pas vraiment des écrivains, que nous sommes juste un atelier loisir qui aime se retrouver chaque semaine dans un bon esprit mais rien de professionnel, qu’il y a un malentendu entre nous et l’armée. Le chef répond «le premier que je surprends à quitter le front sans autorisation sera considéré comme déserteur, et abattu sur le champ» ….. On reste !
Il nous conduit dans un coin peu exposé aux combats, on installe table et chaises, on s’assoie en silence, mais l’inspiration vient difficilement, un militaire nous surveille, pas le droit de bouger, c’est très bruyant et sale, ça tire sans arrêt et des bombes explosent plus ou moins loin, on craint pour nos vies. Un obus éclate très près de nous, à quelques dizaines de mètres, trois soldats sont tués, un morceau de viande tombe sur la table, Samuel s’écrie : « ça y est, j’ai une idée, je vais écrire un texte en leur mémoire !» Le chef de section fait installer un parasol pour nous protéger des projections de bidoches. «Continuez !» ordonna-t-il.
Nos feuilles sont couvertes de sang, le chef donne l’ordre de retourner au camp pour récupérer un stock de papier et c’est un nouveau de notre groupe qui est chargé de cette mission. Je ne connais pas son nom, il vient à l’atelier depuis trois semaines, je me souviens la première fois qu’il est venu, il expliquait qu’il travaillait beaucoup, qu’il avait besoin de se détendre, on l’a invité à nous rejoindre, on disait, tu verras le « Petit grain », c’est une Asso sympa, l’ambiance est conviviale, maintenant on culpabilise un peu. Il repart au camp, on le surveille depuis la tranchée en espérant qu’il ne lui arrive rien, on remarque un objet qui tombe et rebondit au sol jusqu’à ses pieds, c’est une grenade ! Même pas le temps de le prévenir qu’elle explose. Pendant une accalmie deux soldats munis d’un grand sac sont allés ramasser les morceaux. Le chef de section dit qu’une place au cimetière militaire sera réservée aux écrivains morts au champ d’honneur. Il profite aussi de l’accalmie pour envoyer un soldat chercher le stock. Nos feuilles arrivées, on doit s’y remettre. Impossible de se concentrer, la bataille a repris, c’est très bruyant, et de plus en plus violent. Les militaires semblent dépassés, puis ça dégénère en panique. «Repli !» crie le capitaine, et tous les soldats s’enfuient de la tranchée, même celui chargé de notre surveillance a disparu, on s’est retrouvé entre nous, sans savoir quoi faire, tout est allé si vite ! Puis les Allemands sont arrivés, joyeux, sautant dans la tranchée en criant victoire, nous sommes dépassés par les événements. On est fait prisonniers, leur capitaine arrive et dit à ses soldats « pas de prisonnier, exécutez-les.» On tente d’expliquer notre rôle, heureusement un autre gradé qui nous écoutait dit au capitaine « ordonnons leurs d’écrire sur l’absurdité de cette guerre » le capitaine accepte. Ouf ! C’est la deuxième fois qu’on échappe à la mort aujourd’hui. De plus, ce thème nous inspire, on a montré toute notre bonne volonté et commencé à travailler de suite. Les combats ont repris tout l’après-midi, les Français ne digèrent pas la perte de leur position. C’est une pluie de bombe qui s’abat maintenant sur les Allemands submergés, ce pilonnage va nous rendre sourd. Puis le combat cesse, la fumée se dissipe, il y a des morceaux de soldats partout, les quelques survivants se sauvent. Les Français reviennent, surpris de nous retrouver vivant, assis à notre table, et constatent que l’on travaille pour l’ennemi, nous accusent de trahison. On est fait prisonnier, attaché, et conduit au peloton d’exécution. Les bourreaux nous mettent en joue, le capitaine interrompt la sentence juste avant qu’ils ne tirent, et vient nous voir, nous explique qu’il a vu notre travail, ce thème les interpellent, on est autorisé à continuer. Mais pour l’heure il faut remettre de l’ordre dans le camp, ensuite, c’est l’heure de manger. Après le repas le capitaine nous autorise à prendre du repos, demain la journée sera longue, on doit les suivre et observer leur technique d’approche de l’ennemi, afin de le romancer pour le journal officiel. Le chef de section nous a réservé un petit coin de boue pour la nuit tout propre sans trou ni morceau de chair humaine. Si on est trempé demain matin, c’est de notre faute nous dit-il, il fallait emmener des vêtements étanches. On se couche, sur un mot positif de Marie Madeleine : « courage, plus que six jours à tenir !»