Jeanne BASTIDE


Écriture ininterrompue  - fragments


qu’est-ce que tu veux dire ? ne cherche pas, il y a dans la vie des moments où la réflexion n’est pas utile il faut aller  il faut on doit  y a qu’à toutes ces injonctions qui au fond ne font rien avancer

comme on ne trouve jamais un soleil mort sauf la lumière de celui qui est parti chercher plus loin une clarté qu’on ne lui donnait plus  ça se soigne l’absence  ça se soigne avec des mots des incantations le rire et aussi la voix des petits enfants


la lumière a baissé ta mère a baissé les yeux la tête aussi  elle a baissé le ton et même le niveau de ses souvenirs  a baissé  on dit elle a baissé  y-a-il un niveau réglementaire de vie ? peut-on être plus ou moins mort ce sont les escaliers qui nous le diront le degré de l’échelle absente ou l’apparence qu’on n’a jamais pu traverser   on se cogne dans la vie on se cogne jusqu’à ce que l’on comprenne comment faire le détour


le thermomètre de la vie a gelé

il faut rire de ce qu’on ne peut pas  et pleurer des larmes de fleur





Photos Arnaudin


On écrit la photo d’un autre



L’homme est là – assis au bord de l’horizon limité par les arbres embroussaillés.

Des arbres partout, chênes tourmentés recouverts de lichen, saules tortueux, platanes.

Tout le ciel de l’homme – il s’appelle Félix – est occupé par des branchages qui s’enchevêtrent. Félix a la tête habitée par les ramifications ligneuses qui se promènent, se rencontrent, se bousculent.

Le pâtre Félix est donc là, près de l’eau stagnante où quelques vaches efflanquées essaient de trouver leur subsistance.

Ici, la lumière a ses propres chemins.

La clarté du soir souligne les racines de la berge, l’herbe maigre et la terre ravinée. Du ciel, entièrement occupé par le feuillage, coule une clarté parcimonieuse qui dessine des flaques sur la lagune.

Félix est là, le regard au loin, vers un horizon que la lumière rasante ne peut lui ouvrir.

Il va bientôt aller vers le chemin de la berge qui s’affaisse, enjamber la vase et rentrer les bêtes par le sentier sableux et mal entretenu.



Personnage à partir d’un gribouillis sans lever le crayon




Il m’a regardé.

Oui, tu m’as regardé. Je t’ai vu.

Je n’aime pas qu’on me regarde. C’est comme si on m’envoyait trop de lumière. Et ça me fait trébucher.

C’est pareil pour le rire… quand il est trop fort, je vacille.

Tu cherches quoi ?

Nous n’avons pourtant pas épuisé les paroles.

Parle-moi… et regarde ailleurs.

Raconte-moi les collines qui descendent lentement l’estuaire et l’eau écorchée par les bateaux.


Parle-moi du figuier, de l’herbe, pour que ma peau ne me tienne pas trop chaud.

Parle-moi pour que je ne bascule pas.